Olivier Husson

Docteur en agronomie

"L’Indice de Régénération est un outil qui va permettre le changement d’échelle"

Olivier Husson fait partie des chercheurs qui ont prouvé la pertinence de la couverture des sols et démocratisé la méthode Redox en France. Après plusieurs années à l’étranger, Olivier Husson est rentré en France avec l’envie de participer à un mouvement coopératif et a choisi de rejoindre le Conseil Scientifique de Pour une Agriculture du Vivant pour apporter son expertise dans le rapport sol/plante dans la construction de l’Indice de Régénération.

Conseil Scientifique Pour une Agriculture du Vivant Olivier Husson

Léa Lugassy : Quel est votre parcours en tant que chercheur ? Sur quelles thématiques avez-vous travaillé ?

Olivier Husson : J’ai commencé ma carrière au sein du CIRAD, en 1989, en tant qu’agronome-système généraliste. Je travaillais sur l’ensemble d’un système de culture et pas sur un aspect en particulier. J’ai travaillé dans de nombreux pays en Afrique et en Asie avant de revenir en France il y a 5 ans. Je travaille depuis le début de ma carrière sur la co-conception de systèmes de culture avec les agriculteurs et très tôt, je suis rentré dans l’équipe de Lucien Séguy. Il travaillait sur l’agriculture de conservation, plus précisément sur les systèmes en semis direct sous couverture végétale permanente et sur les trois grands principes de l’agriculture de conservation : pas de travail du sol, couverture végétale permanente, et diversité cultivée. En la matière, “il n’y a pas de généralité” comme le dit Marc-André Selosse, mais il y a de la généricité. Il y a des grands principes génériques que l’on peut appliquer partout mais en les adaptant localement. Ils sont très universels, comme la photosynthèse qui fournit toute l’énergie au système. 

Je suis toujours resté en contact avec le terrain et j’ai alterné entre de la recherche appliquée, de la recherche fondamentale sur les processus, de la formation et du développement rural. Cela m’a permis de travailler à différentes échelles et, de fait, j’essaie d’adapter les méthodes aux échelles de travail et d’adapter les échelles aux questions. Par exemple, quand on aborde un sujet plus technique, dans le fonctionnement, la physiologie des plantes, on va être à l’échelle de la parcelle au maximum, voir plutôt de la plante, de la cellule, de l’électron. Quand on est plus sur des aspects socio-économiques, sur les conditions d’adoption des systèmes ou sur l’organisation de l’approvisionnement en semences par exemple, on va être sur des échelles plus régionales, nationales. 

Depuis une douzaine d’années, en développant les systèmes de culture en semis direct sous couverture végétale permanente, je me suis posé la question de la compréhension des processus et des mécanismes pour accélérer la transition. Parce que plus la transition est longue, plus il est difficile de motiver les agriculteurs, et donc plus elle est difficile à mettre en œuvre de manière générale. 

Enfin, au début de ma carrière, j’ai été au Vietnam sur un projet de recherche et développement : il s’agissait de sols sulfatés, acides, en riziculture irriguée. Donc des sols très particuliers qui, quand ils s’oxydent, s’acidifient très fortement. Ces mécanismes d’oxydo-réduction sont très bien connus dans les rizières depuis les années 70 et sont fondamentaux pour la nutrition des plantes et leur physiologie mais sont très peu évoqués dans les milieux agricoles plus classiques. J’ai commencé à vraiment m’intéresser à la question de l’équilibre pH- rédox-conductivité électrique en 2010 et c’est depuis devenu mon sujet principal.

Avez-vous rencontré des difficultés particulières à aborder ces sujets assez novateurs ?

Mon travail a été bien accueilli au sein du CIRAD. La difficulté principale a été la mesure du Redox (potentiel d’hydro-réduction). C’était très difficile de mesurer le redox, que ce soit dans les sols ou dans les plantes. Donc j’ai passé plus de cinq ans à développer des méthodes de mesure qui marchent. J’avais effectué des travaux de bibliographie qui montraient qu’il y avait un intérêt très probable à travailler là-dessus. Beaucoup pensent qu’il y a une corrélation entre le pH et le redox rendant la mesure du redox inutile mais ce n’est pas toujours le cas. En ne mesurant que le pH, on perd la moitié de l’information et réciproquement pour le Redox. Ce qui compte c’est vraiment l’équilibre entre les deux.

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Votre sujet qui est l’étude du potentiel d’oxydo-réduction (Redox) dans le sol peut-être qualifié de relativement fondamental, puisqu’il s’agit vraiment de comprendre des mécanismes du sol et de la plante. Comment faites-vous le lien avec le concret : le champ et les agriculteurs ?

Tout d’abord, je donne beaucoup de formations pour les agriculteurs en France, en parallèle de mon travail au CIRAD. Au niveau de l’unité de recherche, oui, c’est de la recherche plus fondamentale. Mais si aujourd’hui, je m’appuie sur ces recherches fondamentales, c’est pour pouvoir les appliquer et en particulier trouver des moyens d’accélérer la transition en comprenant mieux les processus qui permettent de gérer la santé des plantes autrement. Cela me permet de faire le lien avec le terrain. Les formations avec les agriculteurs m’obligent à accélérer la mise en œuvre pratique de mes recherches. Cette approche Redox donne un cadre théorique qui est très intéressant et qui éclaire beaucoup de choses pour les agriculteurs. C’est un autre angle de vue, une autre manière d’aborder les problèmes qui éclaire souvent des phénomènes que l’on ne comprend pas si l’on ne les aborde pas sous l’angle du Redox.

Vous évoquez les trois piliers de l’agriculture de conservation (non-travail du sol, couverture permanente, diversification). Ce sont des sujets que vous abordiez déjà il y a 30 ans ou est-ce arrivé en cours de route ?

La science, les recherches ont évolué en parallèle de l’apparition de ces termes. On étudiait à l’époque les cultures en Semis direct sous Couverture Végétale permanente (SCV) qui est une forme d’agriculture de conservation des sols (ACS). Sa particularité c’est que le premier et plus important principe est la présence de couverts végétaux qui font de la photosynthèse et alimentent tout le système en énergie. Ça, c’est ce que la vision Redox a permis de comprendre très tôt. On a compris que c’étaient les couverts végétaux qui faisaient la différence. Mais le terme agroécologie est encore plus ancien que ça. On peut ainsi retrouver Sir Albert Howard, qui a écrit “An agricultural testament” en 1943 et qui y décrit l’agroécologie d’une manière limpide, sur le fonctionnement d’un système en forêt. Cela croise l’évolution de la science et finit par faire une somme de connaissances qui font que le modèle est accepté. On évolue en permanence.

Vous évoquez l’importance d'accélérer la transition et les éléments le permettant. Est-ce que vous diriez que le fait de rejoindre le Conseil Scientifique, que des chercheurs se réunissent autour de ces sujets-là, accélère la transition ?

Oui, car pour faire cette transition, il va falloir activer toute une série de leviers, à tous les niveaux, que ce soit au niveau technique, mais aussi au niveau de la formation, de l’acculturation, de la transmission des connaissances. Aujourd’hui, quand on fait des formations, il y a quinze personnes. C’est bien, ça aide à rester en contact avec le terrain, mais ce n’est pas comme cela qu’on va créer le changement à grande échelle. Un des enjeux, est d’arriver aujourd’hui à transmettre la connaissance au plus grand nombre possible et de jouer sur la complémentarité de plusieurs leviers. Ce que fait Pour une Agriculture du Vivant, c’est complémentaire de ce que font d’autres organisations sur d’autres aspects. Ce n’est pas un groupe seul qui va résoudre tous les problèmes et c’est si l’on travaille cette complémentarité que l’on peut y arriver.

Pour cette transition, les modes de recherche doivent également changer, ils doivent se diversifier. Vu les moyens actuels, avec la base de données que l’on peut gérer maintenant, on peut structurer des dispositifs de recherche très simples chez les agriculteurs. On suit des indices simples sur chaque parcelle et en multipliant le nombre d’essais chez des agriculteurs, on peut avoir des dispositifs très puissants. Et ça, je pense que c’est l’une des voies très prometteuses de la recherche en agroécologie.

"Ce n'est pas un groupe seul qui va résoudre tous les problèmes et c’est si l’on travaille cette complémentarité que l’on peut y arriver."

Pourquoi avoir rejoint le Conseil Scientifique de Pour une Agriculture du Vivant en 2020 ? Par conviction, pour faire connaître vos travaux, par envie de se connecter à des acteurs différents ?

Je ne me suis même pas posé la question. C’était intéressant. Quand je suis rentré en France, je suis arrivé dans une dynamique où justement il y avait cet accueil et cet intérêt autour de ce que je faisais sur Redox. La proposition de Pour une Agriculture du Vivant allait dans ce sens. Il y avait également la possibilité de collaborer avec des chercheurs très complémentaires comme Jean-Pierre Sarthou, Pascal Boivin, Marc André Selosse etc. Nous sommes tous dans la même dynamique, dans le même état d’esprit tout en étant complémentaires sur nos activités et nos recherches. Cette complémentarité, c’est quelque chose que j’ai toujours recherché dans ma carrière, que cela soit en alternant recherche appliquée, recherche fondamentale, formation, écriture de livres. Cela permet de changer et surtout de toujours se remettre toujours en question.

Comment votre travail autour du Redox s’articule avec l’Indice de Régénération ?

Un gros problème est finalement un petit problème que l’on regarde de trop près. Donc j’essaye de prendre du recul. Et cela me permet de voir qu’il y a différents types d’outils nécessaires, qu’il faut adapter.

L’intérêt de l’Indice de Régénération, c’est qu’il parle de pratiques. On a besoin de caractériser l’évolution de cette transition : il faut savoir où l’on en est et dans quel sens on est en train d’aller. Et l’Indice de Régénération me paraît un bon outil pour ça. Alors, c’est un une série de compromis, comme pour tous les outils. Mais cela permet de se situer sur cette trajectoire de restauration des sols et des écosystèmes, parce que les pratiques, les systèmes doivent être adaptés. On ne travaille pas de la même manière sur un sol complètement dégradé que sur une prairie. Justement, la transition, c’est de faire évoluer tous les systèmes le long de cette trajectoire là. Et donc l’Indice de Régénération nous aide à nous situer de manière simple et facile. C’est un proxy, ce n’est pas parfait, mais cela nous donne la tendance. C’est important d’avoir ce genre d’outil.

Est-ce que vous voyez l’Indice de Régénération comme un outil qui va aussi permettre le changement d'échelle ? Un outil national pour massifier la transition ?

Je pense qu’il est tout à fait adapté. Il est même fait pour ça ! Globalement, un outil est fait de compromis qui évoluent en fonction des retours, ici des agriculteurs et du terrain en premier lieu. Il permet ensuite de se situer avec une précision suffisante pour prendre les bonnes décisions avec la précision suffisante dont on a besoin sur la mesure donnée. Est-ce qu’on est très haut ou très bas dans le système ? Quel système propose-t-on en fonction ? C’est ensuite aux agriculteurs de s’adapter en fonction du niveau de régénération du sol et de leur écosystème, et de leurs contraintes.

Qu'est ce qui pourrait motiver les agriculteurs justement à s'impliquer dans des projets comme celui-ci ? S’ils ne sont pas déjà sensibilisés à ces sujets ?

La transition se fera dans les sols mais aussi dans la maîtrise des systèmes par les agriculteurs. Les agriculteurs qui ont commencé cette transition il y a deux ans n’ont pas la maîtrise de ceux qui font ça depuis vingt ans. Ce qui est intéressant, c’est qu’avec l’équipe de Lucien Séguy, il y a trente ans, lorsque nous sommes arrivés avec nos recherches, nous n’avions pas tous les principes ni toutes les connaissances des plantes. Il nous fallait dix ans pour identifier les bons systèmes. Il y a vingt ans, il fallait cinq ans. Aujourd’hui c’est encore moins. 

Ceux qui démarrent vont aujourd’hui pouvoir bénéficier de cette expérience. C’est un des points clés pour démultiplier vraiment le nombre d’agriculteurs qui vont enclencher ce changement. Les premiers étaient complètement isolés et faisaient des erreurs chacun de leur côté. Par conséquent, il leur fallait vingt ans pour trouver un système viable. Maintenant avec les échanges, un agriculteur peut se lancer et en 2-3 ans maîtriser son système.

Propos recueillis par Léa Lugassy le 31 août 2022

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