Limiter le travail du sol : des techniques simplifiées au non labour

L’un des fondamentaux de l’agroécologie repose sur la limitation du travail du sol, ce qui passe par le recours à des techniques simplifiées, allant de quelques passages d’outils moins perturbants, jusqu’au non labour, avec des semis directs sous couvert végétal. Plusieurs bénéfices à la clé : préservation et augmentation de la biodiversité, lutte contre l’érosion, amélioration de la fertilité à long terme, maintien de la structure et de la porosité du sol…

Limiter le travail du sol L'agroécologie Pour une agriculture du vivant
Soja en relais-cropping derrière une céréale

Le travail du sol désigne l’ensemble des interventions réalisées par l’agriculteur pour structurer le sol, enfouir des résidus (chaumes, pailles, fumier…), semer des cultures et désherber (dans le cas d’un désherbage mécanique). Toutes ces opérations ont comme point commun d’effectuer une action mécanique sur le sol : les outils utilisés déplacent, retournent et/ou émiettent le sol.

L’utilisation de la charrue est une pratique ancestrale utilisée dans les plaines. Le labour est en effet considéré comme un passage quasi-obligé de préparation des sols pour obtenir une terre meuble et sans résidus de surfaces, et ainsi, réussir à semer des graines avec des semoirs qui requièrent de telles conditions d’implantations. Il est également utilisé comme une méthode de contrôle des mauvaises herbes, par enfouissement des semences, mais aussi des maladies et des ravageurs, en cassant le cycle des pathogènes. D’autres raisons peuvent être évoquées pour en justifier l’intérêt, qu’il est toutefois nécessaire de remettre en cause face aux inconvénients de cette technique.

Les risques d’un travail régulièrement trop profond

En dérégulant l’activité biologique du sol, l’intensification du travail du sol  – en fréquence, en profondeur et en vitesse (agressivité des outils) – a des conséquences sur la fertilité de l’écosystème et l’environnement.

Chaque passage d’outils profonds provoque ponctuellement une aération intense, ce qui augmente aussi brièvement l’activité bactérienne transformant la matière organique (MO) en nutriments pour les plantes. Si, à court terme, il y a un effet positif pour l’alimentation des cultures, des pertes sont observées sur le long terme : le capital MO diminue plus vite qu’il n’augmente. Et en l’absence d’apports extérieurs, la matière organique consommée chaque année par les bactéries n’est plus en mesure d’assurer son rôle de colle structurante entre les particules de terre, ni de rétention d’eau.

En parallèle, le déplacement et l’émiettement des particules du sol conduisent à la destruction régulière de l’habitat des organismes vivants présents, qui ont besoin de stabilité pour prospérer, ainsi que des chaînes alimentaires qui les unissent. En effet, les vers de terre créent de nombreuses galeries, utiles pour la colonisation par les racines des plantes, tandis que les champignons, bien qu’invisibles à l’œil nu, forment des réseaux très denses et étendus de filaments, que les passages d’outils vont venir rompre. Conséquences : cette mini faune ne parvient plus à se développer, et donc, à remplir ses fonctions de structuration naturelle du sol contribuant à la porosité biologique, ni de dégradation des résidus (pailles) et de mélange de la matière organique avec les particules de sol. 

Enfin, avec le retournement du sol, les résidus de cultures et les produits organiques (couverts végétaux, pailles, fumiers…) sont enfouis en profondeur, ce qui annule leur effet protecteur de la surface du sol contre la pluie, le vent, le soleil… et empêche leur bonne décomposition qui a besoin de l’air de la surface.

Cette dérégulation de l’activité biologique du sol entraîne des réactions en chaîne : érosion du sol (coulées de boue), augmentation de sa sensibilité à la compaction (besoin de toujours plus de travail du sol par l’homme pour décompacter), réduction de sa capacité d’infiltration et de stockage de l’eau (sécheresse), diminution de sa capacité à retenir et recycler les nutriments (pollution de l’eau aux nitrates), davantage de fluctuation de sa température…

Vers moins de travail du sol

En raison de ces problématiques, l’enjeu est de réduire voire supprimer le travail du sol, tout en assurant la réussite de la culture. Pour cela, il existe des Techniques Culturales Simplifiées (TCS) et des pratiques qu’il est possible de combiner.

Parmi les pratiques agronomiques, l’implantation de couverts végétaux a plusieurs avantages. Les plantes laissées sur place -après roulage, broyage, voire gel dans certains cas – fournissent une source de nourriture aux organismes vivants du sol qui prolifèrent. Leur travail de structuration rend le sol grumeleux en surface, créant là de bonnes conditions de semis pour les cultures suivantes. Une couverture du sol permet également de favoriser la faune auxiliaire, de réduire l’érosion en surface, de capter et stocker le carbone de l’air, d’améliorer la fertilité de la terre…

Concernant les TCS, des outils de fissuration peuvent être employés ponctuellement pour décompacter en profondeur sans pour autant retourner le sol et enfouir les résidus. Ils sont à réserver pour les parcelles ayant une structure du sol dégradée, par exemple après des passages répétés d’engins pour la récolte, et dans lesquelles une épaisse croûte de terre s’est formée, créant une barrière à la circulation de l’eau, de l’air et des racines.

Pour un travail davantage superficiel – uniquement sur les 5 à 10 premiers centimètres de la surface du sol -, les outils de scalpage servent à déraciner les mauvaises herbes ou les couverts sans enfouir les résidus en profondeur.

Il peut être également prévu des passages d’outils exclusivement sur les lignes de semis. Ce travail du sol localisé permet de préserver les résidus en surface et la terre non travaillée dans les inter-rangs.

Pour les chantiers de semis, il est nécessaire de s’orienter vers des semoirs spécifiques ayant les performances techniques pour intervenir sur un sol soit légèrement travaillé soit n’ayant connu aucun passage d’outils, et donc, qui supportent la présence de résidus en surface ou un couvert végétal encore vivant.

Un investissement en temps et en argent pour un sol vivant et fertile

Réussir à mettre en œuvre ces techniques demande des investissements matériels initiaux mais aussi beaucoup d’adaptation en termes de calendriers de travail, d’observation et de réactivité. La réduction ou la suppression du travail du sol est conditionnée par plusieurs paramètres : les espèces présentes dans l’assolement – toutes les TCS ne sont pas toujours applicables à toutes les cultures – , les conditions météo, le type de sol… Cela peut impliquer de revoir les modes de fertilisation (fractionnement, localisation au semis à étudier…), en raison notamment de la modification de la dynamique de minéralisation des éléments minéraux. 

Il est donc nécessaire de faire évoluer les pratiques progressivement, en fonction de la situation initiale de l’exploitation. En termes économiques, la simplification du travail du sol peut permettre de réduire les charges de mécanisation et de main-d’œuvre. Concernant les impacts agronomiques et environnementaux, ils sont pour certains visibles dès les premières années (diminution de l’érosion, meilleure infiltration de l’eau par exemple) et pour d’autres qu’après plusieurs années, le temps que la vie souterraine se développe à nouveau de manière pérenne et qu’elle consolide ses fonctions de structuration du sol et de recyclage de la matière organique. Une persévérance qui paye sur le long terme, dans l’objectif de régénérer ses terres.

Blé en semis direct Pour une agriculture du vivant
Blé en semis direct