Michel Duru

Agronome et Directeur de recherche à l’INRAe

"Il faut évaluer l'agriculture à la fois pour ses impacts et pour les services qu’elle fournit à la société."

Directeur de recherche à l’INRAE et membre du Conseil Scientifique piloté par Léa Lugassy, Michel Duru a consacré la majeure partie de ses travaux à l’étude des prairies et des systèmes d’élevage de ruminants. Convaincu que ces derniers doivent être réorientés pour rendre plus de services et être mieux valorisés auprès des consommateurs, il revient également sur sa contribution à l’Indice de Régénération Élevage dont la mise en ligne est prévue pour le début de l’année 2023. 

Conseil Scientifique Pour une Agriculture du Vivant Michel Duru

Léa Lugassy : Quel est votre parcours en tant que chercheur ? Sur quelles thématiques avez-vous travaillé ?

Michel Duru : Ma carrière comprend 4 thématiques principales.

Pendant près de quarante ans, mes recherches ont surtout porté sur les prairies permanentes et les systèmes d’élevage de ruminants, notamment en travaillant sur la caractérisation des prairies par les types fonctionnels de plantes qui les composent. Les avancées en termes de valeur d’usage des prairies ont été possibles grâce à la mobilisation des concepts de l’écologie. Plus récemment, j’ai travaillé sur l’adaptation de l’élevage au dérèglement climatique et la complémentarité culture-élevage afin de diminuer les impacts environnementaux, et même d’augmenter la fourniture de services.

La deuxième thématique concernait l’approche intégrée des systèmes d’élevage en prenant en compte l’effet de l’alimentation des animaux sur la santé humaine au travers de la composition des produits (viande, lait). En effet, selon leur composition en acides gras (en particulier les oméga-3), les produits animaux peuvent avoir une fonction inflammatoire sur notre organisme (alimentation maïs-soja) et être à l’origine  de maladies chroniques (diabète, maladies cardio-vasculaires…) ou au contraire avoir un effet anti-inflammatoire (alimentation à l’herbe, complémentation en lin) réduisant le risque d’être atteint de ces maladies. 

Ma troisième thématique, dans les années 2010-2015, a porté sur une caractérisation originale des exploitations agricoles, afin d’aller plus loin que la dichotomie habituelle agriculture conventionnelle vs. agriculture biologique. Un premier axe considère la manière dont la biomasse est produite : est-ce à partir d’intrants de synthèse ou des services fournis par la biodiversité dans les sols et les paysages (légumineuses pour fixer l’azote etc.) ? Le deuxième axe considère le positionnement de l’exploitation par rapport à la mondialisation. Les matières premières agricoles sont-elles vendues au cours du marché mondial ou, au contraire, est-il tiré parti des signes de qualité pour valoriser localement les produits ?  En croisant ces deux axes, on a pu définir 8 types d’exploitations agricoles et également évaluer les services qu’ils fournissent à la société (régulation du climat par séquestration du carbone ; régulation des cycles de l’eau et de l’azote, densité nutritionnelle des produits etc.). Il en ressort qu’une agriculture basée sur la biodiversité, outre de réduire les intrants de synthèse et donc les impacts environnementaux (émissions de gaz à effet de serre…), permet aussi de fournir des services à la société.

Enfin mes travaux récents portent sur la “santé globale”. Autrement dit, comment relier la santé du sol, des plantes, des animaux, des écosystèmes et des humains ? C’est un vaste chantier dont les ressorts sont l’agroécologie, l’économie circulaire et un régime alimentaire plus végétalisé, à l’échelle des territoires. De nombreux verrous empêchent cette transition. Il s’agit en particulier de réduire les coûts de production par les économies d’échelle et de gamme permises par la spécialisation des continents, des régions et des exploitations, sans prise en compte dans les prix des externalités négatives.

Mes travaux sur la prairie et l’élevage constituent le fil rouge de mes recherches. J’ai progressivement pris conscience que les impacts de l’élevage n’étant aujourd’hui plus acceptables, un redimensionnement et une réorientation de l’élevage sont clefs pour les enjeux de sécurité alimentaire, d’environnement (changement climatique, pollutions), d’énergie et de santé. Dans cette réorientation, les prairies ont un rôle majeur à jouer. Par exemple, en centrant l’élevage de ruminants sur les prairies, il est possible de libérer quatre millions d’hectares qui peuvent être utilisés à d’autres fins. En effet, il ne faut pas oublier qu’en plus des 11,1 millions d’ha de prairies, les animaux utilisent plus de onze millions d’hectares de terres arables pour produire du maïs, du blé, du soja etc., dont environ la moitié pour les ruminants.

"Aujourd'hui, l’Indice de Régénération est la manière la plus simple d'évaluer des systèmes cultivés en termes d'impacts environnementaux et de services rendus à la société."

Un des enjeux majeurs en ce moment est le choix du futur affichage environnemental sur les produits. L’Indice de Régénération est aujourd’hui connecté au Planet-Score, cela vous paraît-il à même d'orienter l’alimentation vers ce qui est souhaitable ?

Effectivement, il faut évaluer l’agriculture pour ses impacts par les Analyses de Cycle de Vie (AVC), mais aussi pour les services rendus ; sachant qu’on est bien moins avancé à évaluer les services que les impacts. Ces informations doivent en outre être présentées de manière simple et transparente aux consommateurs. C’est une tâche complexe. Pour preuve, le Nutri-Score qui évalue la valeur nutritionnelle des produits ne tient pas compte du mode d’alimentation des animaux sur la composition des produits. Il ne permet donc pas de valoriser les formes d’élevage qui rendent le plus de services à la société, la santé ici, c’est un comble ! Le futur score environnemental doit absolument permettre de valoriser les produits de ruminants issus d’une alimentation à l’herbe pour les impacts positifs qu’ils ont sur l’environnement, notre santé, et la sécurité alimentaire car n’entrant pas en compétition avec notre alimentation.

L’Indice de Régénération va bientôt être appliqué à l’élevage afin d’avoir enfin un outil qui valorise ces bénéfices, c'est à dire la non-concurrence avec les cultures destinées à l’alimentation humaine ou la capacité de produire pour les humains et pour les animaux sur une même parcelle, à l’échelle d’une rotation. Quel type d'élevage vraiment vertueux pourrait-on promouvoir ?

Dans un premier temps, si l’on veut être vertueux en élevage, il faut arrêter d’importer du soja et il ne faut surtout pas remplacer le tourteau de soja par du tourteau de colza, même produit en France. Il faut absolument développer les légumineuses à graines et les produire dans les territoires, tout en veillant à s’adapter à un régime alimentaire plus végétalisé.

Pour être à la hauteur des enjeux de sécurité alimentaire, climatique et sanitaire, il faut des élevages de ruminants basés sur l’herbe, majoritairement sur les prairies permanentes dont les surfaces ont diminué depuis vingt ou trente ans, malgré les mesures de la PAC. Il faut stopper cette érosion. Mais il faudrait aussi que le lait et la viande issus d’élevages agroécologiques soient payés plus cher. Actuellement ce n’est pas le cas, alors que leur valeur santé est meilleure : deux fois plus d’oméga 3, d’antioxydants et de vitamines qu’un lait “conventionnel”. C’est la même chose pour le stockage de carbone. Il faudrait récompenser le maintien des stocks dans les sols de prairies. 

Qu'est-ce qui vous a encouragé à accepter la proposition de rejoindre le Conseil Scientifique de Pour une Agriculture du Vivant ?

Le hasard a fait qu’il y a sept ans, il s’est constitué un petit groupe toulousain informel autour de l’agriculture de conservation des sols, dont j’ignorais même le terme, autour de Jean-Pierre Sarthou et Cédric Cabanes. Nous avons visité des exploitations agricoles. Cela m’a sensibilisé à une forme d’agriculture de conservation des sols, complémentaire au bio, qui valorise les services fournis par la biodiversité.

Par ailleurs, découvrir des travaux comme ceux de Marc-André Selosse, également membre du Conseil Scientifique, et penser le fonctionnement des cultures, des animaux et des humains par le prisme de la microbiologie a été une révolution complète. Lorsque Pour une Agriculture du Vivant m’a sollicité, c’était le bon moment pour moi, car je souhaitais approfondir ces sujets et passer à l’échelle, comme on dit.

Vous apportez votre expertise dans ce Conseil Scientifique, mais qu’est-ce que le mouvement vous a apporté, à vous ?

Tout d’abord, le réseau. J’ai rencontré des hommes et des femmes avec qui j’échange désormais comme Francis Bucaille par exemple (NDLR : fondateur de Gaïago, membre de Pour une Agriculture du Vivant), donc j’ai lu le dernier ouvrage 2 fois ! Ensuite, c’est le fait d’avoir contribué à la construction de l’Indice de Régénération qui permet une vision systémique et pragmatique de l’agriculture. Aujourd’hui, l’Indice de Régénération est la manière la plus simple d’évaluer des systèmes cultivés en termes d’impact et de services rendus.

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Propos recueillis par Léa Lugassy le 6 septembre 2022

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