Alors que le Salon International de l’Agriculture 2025 célèbre « L’Agriculture, cette fierté française ! », nous donnons la voix à ceux qui réinventent leur métier avec passion et engagement.
Laurent Haye, agriculteur dans l’Eure et ambassadeur de notre association, a choisi l’agroécologie comme modèle de production. Face aux défis environnementaux et économiques, il a su innover en repensant ses pratiques et en créant sa propre marque, Gumi Graines, pour valoriser ses légumineuses. Porté par ses valeurs, il revient sur son parcours et la fierté d’avoir bâti un modèle agricole en accord avec ses convictions.
Réinventer l’agriculture grâce à l’agroécologie
Pourquoi le choix de l’agroécologie ?
“J’ai ça dans mes gènes depuis le début où je me suis installé. J’ai laissé partir mon associé à sa manière, et dès lors que j’ai pris les rennes, j’ai fait évoluer la ferme dans une démarche environnementale.
Viser la réduction des intrants, et déployer l’agriculture de précision pour diminuer mon impact sur l’écosystème, c’était mon point de départ. Mais j’ai rapidement réalisé que mes sols n’évoluaient pas forcément dans le bon sens. On avait des problèmes de battance sur les limons, des stress hydriques et une faible rétention d’eau, liés à des problèmes de matière organique. C’est là que j’ai compris qu’il fallait repenser en profondeur mes pratiques agricoles.
En 2016, j’ai commencé à faire des essais sur le semis direct et l’association de cultures. Puis, en 2018, j’ai franchi le pas vers l’agriculture de régénération. Je repartais de zéro, je n’avais aucune référence, du coup, nous avons constitué 4 groupes d’agriculteurs sur le territoire normand pour pouvoir échanger sur les projets.
C’est également à cette période que j’ai été approché par Pour une Agriculture du Vivant. On m’a proposé d’intégrer le bureau de l’association, j’ai tout de suite accepté. Aujourd’hui encore, je suis toujours dans le Conseil d’administration.”
Gumi Graines : une marque au service de la transition
Comment est née Gumi Graines et quel est son rôle dans cette transition ?
“Rapidement, j’ai compris que si l’on voulait changer de modèle, il fallait aussi créer des débouchés économiques. Je faisais beaucoup de légumineuses, qui est un point fort pour l’agriculture de régénération, mais produire des lentilles ou des pois chiches en agroécologie, c’est bien, encore faut-il pouvoir les valoriser.
C’est ainsi qu’est née Gumi Graines. Au départ, j’ai commencé avec quelques commerçants locaux en leur proposant des lentilles et des pois chiches. Et très vite, on m’a demandé d’élargir l’offre, on m’a dit qu’elles étaient les tendances actuelles et selon les faisabilités, j’y suis allé. Alors j’ai diversifié ma production avec trois variétés de lentilles puis du pois cassé. Un jour on m’a parlé du sans-gluten et je me suis dit que ce serait intéressant de se positionner là-dessus. On a donc transformé nos légumineuses en farine, et intégré dans la rotation du sarrasin pour pouvoir les proposer !
On a voulu créer une marque forte, avec une identité visuelle marquée, pour toucher un public plus jeune. On cible une génération qui a grandi avec des préoccupations environnementales et qui cherche des alternatives plus responsables. Aujourd’hui, nos produits sont distribués en épicerie, dans des collectivités et en GMS. La restauration collective représente d’ailleurs 90 % de notre débouché.
Même si ce n’est pas toujours simple, voir nos produits adoptés par autant de consommateurs et savoir que l’on propose une alimentation plus vertueuse est une vraie satisfaction. Malgré les défis, cela compense largement les difficultés du quotidien et donne du sens à notre engagement.”
Vos pratiques participent-elles à améliorer l’image de l’agriculture française ?
“Nos pratiques démontrent au grand public qu’il est possible de pratiquer une agriculture ayant un impact positif sur l’écosystème. Aujourd’hui, les consommateurs veulent savoir d’où viennent les produits et comment ils sont faits. Si on est transparent et qu’on montre qu’on fait les choses bien, on réconcilie l’agriculture avec la société.
Après, il y a encore des réticences dans le monde agricole. Certains collègues voient l’agroécologie comme une mode, d’autres pensent que ce n’est pas viable économiquement. On passe parfois pour des “trouble-fêtes”, comme l’a été le bio à ses débuts. Mais ce n’est pas mon rôle de convaincre tout le monde. Mon objectif, c’est de montrer que ça fonctionne et que c’est possible.”
Reprendre le contrôle sur son métier
Vos pratiques ont-elles changé votre équilibre entre vie privée et professionnelle ?
“Au début, pas du tout. On entrait dans une zone inconnue, avec peu de références, donc il y avait de l’angoisse et beaucoup d’incertitudes. On faisait du tâtonnement, sans savoir exactement si ça allait marcher.
Mais ce que j’ai vite constaté, c’est que ces pratiques m’ont permis de reprendre le contrôle sur mon métier. Avant, on suivait des recommandations techniques sans trop réfléchir. Aujourd’hui, je passe beaucoup plus de temps sur le terrain, à observer et à prendre des décisions en fonction de ce que je vois.
Avec le recul, cette transition a été bénéfique. On sait mieux ce qui marche et ce qui ne marche pas, on a plus de confiance. Et surtout, on est plus sereins, car on est en accord avec nos valeurs et on construit un modèle durable pour l’avenir.”
Comment convaincre un plus grand nombre d’agriculteurs de s’engager ?
“Il faut de l’échange pour qu’on puisse avancer ensemble. C’est pour cela que j’ai contribué à créer quatre groupes d’agriculteurs à travers mon territoire, pour partager nos expériences. Ce genre d’échanges est fondamental : beaucoup craignent de se lancer seuls. On peut éviter les erreurs des uns et des autres, et surtout prouver que cette transition est possible sans mettre en péril l’exploitation.
Aujourd’hui, on vulgarise l’agroécologie sur un territoire qui n’était pas destiné à ça. Les mentalités évoluent, mais lentement. Si on veut que ce modèle se généralise, il faut donner aux agriculteurs des repères concrets, des expériences et un accompagnement adapté.”
À travers son engagement dans l’agroécologie et la création de Gumi Graines, Laurent Haye prouve qu’il est possible de concilier performance agricole, respect de l’environnement et épanouissement personnel. Malgré les défis, il a su bâtir un modèle en accord avec ses valeurs, tout en inspirant d’autres agriculteurs à franchir le pas.