La résilience à la ferme

Intro sur le partenariat EAV

Equipe Equipe Pour une Agriculture du Vivant

Charlotte Drapeau

Etudiante Ecole d'Agroécologie Voyageuse Promo 2021-2022

27/06/2022

La résilience (étymologiquement : le fait de rebondir)  définit la capacité d’adaptation d’un matériau, d’une activité ou d’un individu face à un changement important de son milieu. C’est l’aptitude à absorber une ou des perturbations.

C’est une caractéristique primordiale pour une exploitation agricole car nous faisons et allons faire face à de nombreux aléas et nourrir l’humanité est un défi de demain.  En premier lieu, les perturbations vont venir du climat avec des amplitudes thermiques plus importantes, des saisons déréglées et des intempéries imprévisibles. En parallèle, les épidémies comme la grippe aviaire sont de plus en plus présentes et impactantes.  Le prix des intrants a dernièrement subi une hausse remarquable au niveau des matières premières, du carburant, des aliments, des fertilisants… tout est déréglé ! Alors comment augmenter la résilience d’une ferme ?

J’illustre le propos de cet article avec deux fermes dans lesquelles j’ai fait des stages lors de mon parcours au sein de l’École d’Agroécologie Voyageuse en 2021 et 2022. Ces fermes sont des exemples de résilience et d’autonomie : 

  • La ferme en Coton à Auch dans le Gers, gérée par Nicolas Petit, comprend un élevage de poulets de chair, de poules pondeuses, de porcs et de moutons. Le tout en bio et 100% plein air.
  • La ferme du Gabbro à Plédéliac dans les Côtes d’Armor, créée par Sophie Nedellec avec élevage ovin et bovin allaitant et bientôt des volailles.

Les arbres : les piliers de la résilience

Le premier thème important est l’agroforesterie. L’intégration d’arbres dans une ferme apparaît comme une nécessité aujourd’hui. La nature tend naturellement vers la forêt qui est l’écosystème le plus abondant, diversifié et donc résilient sur terre. L’agroforesterie est une technique de protection des milieux (sols, eau, biodiversité). On peut planter des arbres, dans des parcelles céréalières, des prairies, des parcours à volailles… 

Arbres Champêtres Dans Les Parcours à Cochons, Janvier 2022 (La Ferme En Coton, Auch, Nicolas Petit)

Les arbres protègent les sols et les amendent. De par leurs feuilles, fruits, branches, les arbres apportent une quantité de matière organique importante au sol. Par exemple, une ferme agroforestière de 100 ha produit autant de biomasse qu’une ferme de 140 ha où arbres et cultures sont séparés (AFA). Cette matière approvisionne les micro-organismes du système, favorisant ainsi les cycles de fertilité. Plus un sol est fertile, c’est à dire plus il contient de matière organique, plus il va être capable de stocker de l’eau et des nutriments. L’eau sera donc mieux retenue et la réserve utile (assimilable par les plantes) va être augmentée. La fertilité d’un sol participe également à la réduction de fertilisants synthétiques, polluants et demandeurs d’énergie. Le sol devient lui-même une source de stockage du carbone, amélioré par le captage des arbres.

De par leurs racines, les arbres structurent et stabilisent le sol, ils agissent comme une armure. Un sol structuré permet un bon drainage de l’eau et limite l’érosion de la terre et le lessivage des nutriments. La vitesse d’érosion est aujourd’hui 10 fois plus rapide que la vitesse de formation des sols. Lorsqu’ils sont plantés perpendiculairement à la pente comme dans les parcelles de la ferme en Coton, ils limitent le ruissellement de l’eau qui appauvrit les sols lors de fortes pluies. La perte de sol est une problématique importante due notamment au labour. Depuis 12 000 ans, soit les débuts de l’agriculture, on a perdu 92% de la fertilité de nos sols. Chez Nicolas Petit, des lignes sont plantées tous les 24 mètres dans les champs de grandes cultures (40 mètres serait plus adapté pour éviter la concurrence en lumière avec les cultures, c’est tout un art d’intégrer des arbres dans un système). Les haies ou lignes arborées permettent aussi de créer des barrières physiques pour éviter la propagation et la pression parasitaire, fongique ou virale : le virus de la grippe aviaire a beaucoup moins de risques de se propager dans un environnement bocager. 

L’arbre constitue aussi une barrière contre le vent qui emporte l’humidité de la terre. Et en évapotranspirant, les arbres alimentent les rivières volantes en eau. Ces flux constitués de vapeur d’eau sont transportés par le vent dans l’atmosphère. Cette eau stockée crée des pluies pour un autre milieu.  

Les Poules Pondeuses De L'isle Jourdain Dans Leur Parcours Arboré (La Ferme En Coton, Auch, Nicolas Petit)

Les arbres peuvent être plantés selon différents modèles en lignes (intra ou inter parcellaires), en bosquets, en îlots ou en haies. Dans tous les cas, ils ont de nombreux avantages pour les animaux sauvages ou d’élevage. Ils permettent le maintien de fonctions essentielles (comme la pollinisation) au sein de l’écosystème cultivé en abritant insectes, oiseaux et petits mammifères. Ils favorisent naturellement la survie de la faune sauvage car ce sont des sites de reproduction, de protection et de nourrissage. C’est un aspect primordial permettant de ralentir l’effondrement de la biodiversité. En 10 ans, deux tiers des insectes ont disparu dans les prairies. (Commission générale au développement durable, 2018)

Les arbres sont également des abris naturels pour les animaux d’élevage. Ils protègent du vent, de la pluie mais aussi de la chaleur et du soleil. Ils régulent le climat via le cycle de l’eau, la tempérance… Les arbres garantissent aussi la sécurité des volailles vis à vis de leurs prédateurs aériens, à la Ferme en Coton, ils empêchent les attaques de la buse. 

Arbres Dans Les Parcours à Volailles En Janvier 2022 (La Ferme En Coton, Auch, Nicolas Petit)

Des arbres fourragers sont de plus en plus utilisés, ils pourraient, dans des cas extrêmes, remplacer l’herbe lorsqu’elle vient à manquer ou qu’elle est jaunie par la chaleur et le manque d’eau, et donc inconsommable. Les stocks de foin sont ainsi estimés plus tard dans la saison. La valeur alimentaire (en énergie et protéines) d’un frêne est équivalente à un ray-gras, trèfle blanc, luzerne sur certaines périodes.  Le mûrier blanc a aussi une valeur alimentaire exceptionnelle. Il peut produire bien plus qu’une parcelle de luzerne. En période sèche, 30% de l’alimentation provient du pâturage et de l’ensilage de mûrier blanc chez certains éleveurs. Les animaux raffolent de nombreuses essences d’arbres en tant que complément alimentaire (fruits, feuilles, racines). En plus de diversifier leur alimentation, les arbres ont aussi un rôle important sur la santé des animaux, les composés biologiquement actifs améliorent la santé des bêtes. 

L’autonomie alimentaire des élevages

La résilience d’une ferme serait aussi rattachée à son indépendance. Il est intéressant pour une exploitation agricole de s’inscrire dans un territoire et d’interagir avec différents acteurs (transformation, vente…) mais cela comprend des risques au niveau sanitaire, économique, humain. La fiabilité est un critère de sélection important pour choisir ses intéractions. 

Être indépendant c’est aussi se protéger ! Lors d’épisodes épidémiques de la grippe aviaire dans le Gers, il paraît essentiel de produire son aliment à la ferme afin d’éviter les potentielles entrées du virus. Les risques se trouvent aussi lors des approvisionnements des poussins de 1 jour : en période de grippe aviaire, comme cette année, le transport de volailles vivantes a été interdit dans de nombreuses régions et des couvoirs ont dû être fermés. Certains agriculteurs se retrouvent avec un trou de production pendant plusieurs mois. Nicolas Petit a choisi d’abattre lui-même ses animaux au sein d’un abattoir commun à plusieurs agriculteurs (Cuma), cela lui permet de gagner 0,50 euros par volaille en coûts de production. Ce choix évite aussi le passage d’un camion qui collecterait les bêtes provenant de plusieurs fermes et donc pourrait être un vecteur potentiel du virus. 

A la Ferme du Gabbro, Sophie a décidé d’arrêter de produire des céréales sur ses terres argileuses car cette gestion était compliquée et inadaptée. Elle favorise donc un élevage à l’herbe puisque c’est ce qu’elle peut produire sur place avec des coûts de production moins importants.  Elle n’est plus obligée d’emprunter des machines ou de dépendre d’une autre personne sur sa production de viande. Ainsi elle est seulement dépendante des aléas climatiques mais moins que certains grâce à ses parcelles largement arborées. 

Prairie Arborée Avec Des Moutons Landes De Bretagne à Plédéliac, Côte D'Armor, Octobre 2021 (La Ferme Du Gabbro, Sophie Nedllec)

Gérer au maximum sa filière permet d’être moins dépendant du système et donc plus résilient. Les pratiques adaptées et adaptables permettent de toujours les ajuster aux besoins de l’exploitation. L’important est d’être capable d’améliorer ses modes de production. On ne cherche pas l’autarcie complète mais plutôt de l’autonomie.

La filière économique

Gérer son aliment, son abattage et sa vente permet aussi un contrôle plus important des coûts à la charge du paysan. L’instabilité financière et politique l’illustre parfaitement en ce moment avec la montée des prix des matières premières (carburants, céréales, métaux…). Cela a moins impacté les fermes autonomes car les échelles de production et la quantité d’intrants dans le système sont moins importantes. Et si ces prix évoluent, ces fermes peuvent les adapter directement sur leurs prix de ventes car elles ne dépendent aucunement des achats de revendeurs ou de coopératives. La vente directe permet en plus de nourrir la population locale et donc de participer à la résilience alimentaire d’une région. Si les réseaux de distribution se raccourcissent, la production sera plus directe, à destination nourricière. Par exemple, à la ferme du Gabbro, Sophie n’élève  que des races locales, bretonnes, rustiques et adaptées au terroir ! 

Relocaliser l’agriculture permet de la rendre plus rentable et coordonnée avec son milieu en constant changement. Cela permet d’économiser de l’énergie (eau, carburants) et de réduire les coûts (intermédiaires, transports) pour augmenter le revenu de l’agriculteur.trice. Seulement le temps de travail est aussi plus conséquent et doit être considéré dans les coûts. En moyenne, le temps de commercialisation représente 30% pour les fermes en ventes directes. Nicolas Petit passe 13 heures par semaine à vendre (5h à la boutique de la ferme et 8h au marché), il passe aussi 2h en plus pour la préparation de ces ventes. 

Finalement pour créer une ferme résiliente, il faut repenser le système. Les piliers essentiels ont été énoncés ici: planter des arbres, l’autonomie alimentaire et la réflexion autour de la filière. Ils sont à adapter aux objectifs de chacun et au contexte pédoclimatique. On peut aussi prendre en compte le changement climatique et le choix de cultures et de productions adaptées.

“Apprendre à accepter toute embûche sur le parcours comme occasion de changer quelque chose dans notre relation au monde semble être la voie dont parle aussi la notion de résilience” (Ce que les peuples racines ont à nous dire, Frederika Van Ingen, 2020)

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