Dans le cadre de son parcours destiné à découvrir l’agroécologie, Pablo s’est rendu une semaine chez Pierre. Il y a observé les subtilités de son système qui, depuis une vingtaine d’années, se transforme perpétuellement pour réintégrer le vivant.
Pablo Pailhes
Etudiant ingénieur agronome
Les Agron'Hommes
25 mars 2020
Les enjeux environnementaux au cœur des décisions
Avant d’arriver sur la ferme, je passe au milieu des coteaux du Gers, le paysage est assez uniforme, le blé ou les sols nus couvrent des parcelles de plusieurs hectares. Quelques vignes amènent un peu de diversité mais il n’y a que peu d’arbres ou de bosquets. Il a beaucoup plu et les cours d’eau débordent en transportant une eau couleur terre. Puis, des rangées d’arbres commencent à occuper certaines parcelles, des couverts de féveroles, d’avoine, de luzerne sont implantés, des haies en début de floraison longent le chemin menant à la maison. Oui, le paysage devient plus vivant, j’approche de chez Pierre Pujos.
Depuis son installation, Pierre est guidé par une conscience des enjeux environnementaux. « Il y a 20 ans, je lisais les rapports du GIEC », dit-il. Au cours d’une formation, il expose quelques chiffres. En France, 17,8% des gaz à effet de serre sont liés à l’agriculture, il est certes possible de réduire les émissions de carbone, mais l’agriculture est un des seuls secteurs à pouvoir en stocker. Les autres agriculteurs présents le questionnent, prennent la mesure des enjeux. Et honnêtement, je suis heureux de l’entendre. C’est la prise de conscience des enjeux mais aussi du potentiel de l’agriculture qui m’a amené à me passionner pour l’agroécologie. Voir des agriculteurs s’y intéresser et comprendre le rôle majeur qu’ils ont à jouer est très enthousiasmant.
L’agroforesterie (gauche) et les bande enherbées (droite) stabilisent les coteaux. Les couverts végétaux jouent aussi le rôle de protection du sol à l’érosion.
Limiter les émissions, stocker du carbone mais aussi conserver la biodiversité, font partie des objectifs de la ferme. C’est pour cela que Pierre a arrêté très tôt de labourer, en plus de voir son sol s’en aller. « J’ai fait comme les autres une année, puis quand le sol d’une de mes parcelles a bloqué la route en-dessous, j’ai tout arrêté ». Petit à petit, il a implanté des couverts végétaux en interculture, des bandes enherbées, puis des haies et des rangées d’arbres. Toutes ces installations permettent de stabiliser les coteaux grâce à leur système racinaire et à la couverture du sol. Elles jouent aussi le rôle de réservoir à biodiversité. « Les rangées d’arbres sont espacées de 24 m, si le syrphe doit aller au milieu du champ, il lui faut faire au maximum 12 m ».
Allier éleveur et céréalier ou créer une “ferme écosystème” autofertile
Pierre se passant entièrement de fertilisants, les couverts sont aussi déterminants dans le système pour ramener de la fertilité dans les parcelles. Avec l’implantation de légumineuses (féveroles, trèfle violet, luzerne), l’azote de l’air est fixé par la plante qui la restitue au sol. Lorsqu’une légumineuse a été cultivée auparavant, un couvert à base de graminées, plutôt carbonées, peut permettre de rééquilibrer le rapport C/N du sol avant la culture suivante.
Après plusieurs années d’utilisation des couverts, deux constats ont été faits: le sol est couvert la majeure partie de l’année sans être directement productif et la fertilité n’est pas optimale et peut être améliorée. Pierre a donc souhaité intégrer des animaux sur la ferme avec pour objectif de valoriser les couverts par la pâture et améliorer la fertilité des sols par l’apport de déjections animales.
Tristan Delporte s’est donc installé sur les terres de Pierre avec 120 brebis allaitantes de race Tarasconnaise. De l’automne au printemps, il fait pâturer le troupeaux sur les couverts dès que les conditions le permettent et se rabat dans d’autres parcelles voisines (vignes, couverts, prairies) quand la végétation est trop basse ou le sol pas assez portant. En été, les cultures prennent le pas sur les couverts et le troupeau transhume en estive. En 2019, Pierre a lui aussi acheté 130 brebis et salarié un berger pour s’en occuper. Avoir deux bergers sur le même territoire leur permet de collaborer et de prendre des congés durant l’année.
Ce système ne repose que sur très peu de charges. Il ne demande aucun investissement ni en bâtiment ni en alimentation animale. L’installation a eu un léger coût matériel mais l’essentiel des charges est concentré sur le poste humain. Pierre a fait ce choix car il n’a pas les compétences requises pour s’occuper des brebis. En contrepartie, il crée de l’emploi et du dynamisme sur son territoire.
Tristan (droite) et Javier (gauche), berger salarié par Pierre, travaillent ensemble pour déplacer les brebis d’une parcelle à l’autre
L’agroécologie, une voie d’amélioration perpétuelle
A l’heure où l’élevage peut être pointé du doigt, ce système me paraît apporter une solution cohérente au problème d’utilisation des terres agricoles pour l’alimentation animale. Les brebis pâturent ici des surfaces non valorisées et amènent la fertilité nécessaire à un système autonome. D’autre part, dans un contexte où de nombreux agriculteurs partent à la retraite et où les jeunes souhaitant s’installer peinent à acheter des terres, ce système à faible charges peut permettre à une nouvelle génération de paysans d’initier une activité d’élevage dans le cadre de “fermes écosystèmes”.
En tant qu’étudiant, cette semaine auprès d’un agriculteur pionnier enrichit ma vision de l’agroécologie. Les rencontres de céréaliers, éleveurs, bergers m’apportent énormément de connaissances et une vision plus large de ce que peut-être l’agriculture du vivant. Je constate aussi que les voies vers l’agroécologie sont multiples, et qu’un grand champ des possibles s’ouvre à nous si l’on s’oriente vers des systèmes agricoles vertueux.