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Isabelle Goldringer
Chercheuse à l’INRAe
Isabelle Goldringer, chercheuse et spécialiste de la sélection variétale et de la génétique des cultures, vient tout juste de rejoindre le Conseil Scientifique de Pour une Agriculture Du Vivant. Ces connaissances sur l’évolution et l’adaptation des espèces et sa proximité avec différents réseaux d’agriculteurs sont essentielles pour permettre l’amélioration de l’Indice de Régénération.
Léa Lugassy : Quel est votre parcours en tant que chercheur ? Comment votre parcours de recherche a évolué vers ce sur quoi vous travaillez aujourd’hui ?
Isabelle Goldringer : Je suis ingénieur agronome de formation, j’ai suivi une spécialité en génétique et amélioration des plantes à AgroParisTech. Ensuite j’ai réalisé une thèse en méthodologie de la sélection avec l’idée d’optimiser les méthodes utilisées. J’étais déjà préoccupée par le fait de sélectionner tout en maintenant la diversité génétique cultivée au sein du pool génétique travaillé.
C’est ce qu’on appelle la sélection récurrente. On améliore progressivement des populations de plantes ou d’animaux tout en gardant une diversité intrinsèque à cette population. Le concept me plaisait. En rejoignant les équipes de l’INRA, j’ai pu poursuivre les travaux initiés durant ma thèse.
Au sein de mon équipe, nous avons aussi travaillé sur des approches complémentaires appelées gestion dynamique, qui consistait à gérer la diversité cultivée sans presque la sélectionner dans une optique de réservoir génétique.
Les ressources génétiques qui sont utilisées par les sélectionneurs sont souvent issues de banques de graines et conservées au froid, isolées de l’environnement. Elles n’évoluent donc plus. L’idée de la gestion dynamique, c’est de maintenir ces ressources génétiques de façon dynamique, en continuelle interaction avec l’environnement, pour qu’elles restent adaptées au contexte pédo-climatique, à leur environnement, etc.
En travaillant sur ce sujet, je pensais apporter des éléments de réponses aux sélectionneurs ainsi qu’aux semenciers. Mais rapidement, j’ai réalisé que ce n’était pas leur priorité. C’est donc sans eux que j’ai poursuivi mes recherches sur la gestion dynamique. L’objectif était de caractériser les évolutions des populations d’espèces cultivées dans des environnements différents lorsque aucune sélection n’était réalisée. Nous avons constaté des adaptations au climat et aux pressions pathogènes et démontré que l’évolution était rapide.
Était ce un travail que vous accomplissez déjà en partenariat avec des agriculteurs ?
Non, initialement, je travaillais uniquement avec des lycées agricoles dans le cadre d’un projet soutenu par la Direction Générale de l’Enseignement et de la Recherche (DGER) du ministère de l’Agriculture. A l’époque, dans les années 90 on ne manifestait pas beaucoup d’intérêt pour ces approches en France.
En 2002, à l’occasion d’un colloque sur l’agriculture biologique organisé par l’INRA, j’ai rencontré les [agriculteurs] fondateurs du Réseau Semences Paysanne. Nous partagions la même envie de travailler avec d’autres agriculteurs pour développer des populations adaptées à leurs territoires. Ils comprenaient vraiment cette logique d’évolution, d’adaptation et l’intérêt de la diversité à la ferme. On a commencé à se rencontrer et à voir qu’on pouvait faire des choses ensemble, notamment avec le groupe autour du blé qui était très dynamique. Les premiers travaux ont été de caractériser les pratiques à la ferme et de refaire l’historique des semences grâce aux outils de la génétique moléculaire pour pouvoir déterminer la diversité génétique.
Nous avons déposé des projets avec Christophe Bonneuil, historien des sciences et Elise Demeulenaere, ethnobotaniste, dans une approche transdisciplinaire. On a pu financer un premier projet dans lequel on a démontré qu’il y avait une diversité importante derrière ce qui était cultivé comme une variété unique qu’était le rouge de Bordeaux. Cela nous a permis de comparer des échantillons conservés en banque de graines et des échantillons qui avait été cultivé par beaucoup d’agriculteurs et combien elles étaient complémentaires. Et petit à petit effectivement les agriculteurs et agricultrices, mais aussi, les jardiniers et jardinières, toutes les associations professionnelles et citoyennes ont été reconnus comme des acteurs de la biodiversité cultivée et donc ont été aussi invité aux discussions à l’international et non plus uniquement les semenciers.
Il y a 15 ans lorsque vous avez commencé à aborder ces questions en tant que chercheuse, c’était encore assez marginal. Est-ce que maintenant, quinze ans plus tard, c’est devenu plus audible, considéré comme plus légitime ?
Oui, complètement. Les agriculteurs m’ont demandé d’aller encore plus loin, de les accompagner dans la sélection à la ferme. On a mis en place des projets de sélection participatifs avec des essais à la ferme. A cette époque, quand je déposais des projets et des demandes de financement, beaucoup ne considérait pas que c’était de la recherche, car c’était conduit par des agriculteurs hors des laboratoires. S’il n’y avait pas eu à la fois le Réseau Semences Paysannes et mes collègues au CNRS et au Muséum cela aurait été plus compliqué. Aujourd’hui, la recherche participative est beaucoup plus reconnue, et la reconnaissance du rôle des agriculteurs et des associations dans la gestion de la biodiversité a aussi beaucoup légitimé ce travail.
Quels sont aujourd’hui les principaux freins qui empêchent la diversification des variétés cultivées ?
Il y a différents freins à la diversification du blé qui est mon domaine de prédilection.
Le premier frein, c’est au niveau de la sélection même qui se concentre encore principalement sur la sélection d’un type de variétés qui va valoriser les intrants dans des conditions très optimisées et donc non adaptées à l’agriculture biologique, à l’agroécologie ou à d’autres pratiques. C’était notamment entretenu par les critères inscrits au Catalogue Officiel. Malgré cela, quelques entreprises ont essayé de proposer des variétés sélectionnées pour l’agriculture biologique mais ont été refusées étant donné que les tests d’entrée au catalogue n’étaient pas faits pour montrer les qualités dans des conditions biologiques. Cela a créé un goulot d’étranglement. Par exemple, au sein de mon équipe, nous avons beaucoup travaillé sur les mélanges de variétés qui nous paraissaient être un intermédiaire entre des agriculteurs qui sélectionnent à la ferme et des agriculteurs qui achètent juste des semences d’une variété aux semenciers. L’idée était de proposer des mélanges pour ouvrir un espace de recherche et chercher des variétés complémentaires. Mais ce n’était pas accepté par les semenciers qui avaient peur de perdre leur identité.
Le deuxième frein se situe au niveau des coopératives qui proposent à leurs agriculteurs un nombre limité de variétés, entre cinq et quinze, c’est très peu.
Un troisième frein est la commercialisation et tout le versant aval. Tous les blés ne sont pas valorisés de la même manière et cela va encourager les agriculteurs à faire des variétés meunières, mieux valorisées, même si cela ne représente qu’une toute petite proportion des débouchés du blé.
Les agriculteurs ont également leurs habitudes mais en réalité c’est par eux que les choses ont réellement bougé. La proportion de surface en mélange de variétés a augmenté de façon exponentielle et est passée de quelques pourcents à près de 20% en 5-6 ans. Ce sont les agriculteurs, le plus souvent éleveurs, qui participent le plus fortement à cette augmentation. En effet, n’étant pas confrontés aux contraintes de la commercialisation, ils ont eu davantage de liberté à essayer des mélanges variétaux et notamment des mélanges céréales-légumineuses. A contrario, la recherche était très frileuse de ce type de pratiques, avec beaucoup de connaissances et de résultats d’essais accumulés sur les mélanges variétaux et sur la résistance aux épidémies mais cela ne s’était pas traduit jusque dans la pratique.
On vient de vivre un été particulièrement sec. De manière générale, les sécheresses deviennent récurrentes. Est ce que vous travaillez déjà sur des mélanges et des variétés population qui soient adaptées aux nouvelles conditions climatiques ? Est-ce un sujet que vous étudiez depuis un moment ou cela se développe-t-il par la force des choses ?
C’est un critère qui prend de plus en plus de poids. Au début, la recherche était très axée sur les résistances variétales pour rendre le peuplement rustique aux maladies. Mais aujourd’hui, mes collègues travaillent avec les phytopathologistes de l’INRAE sur la sécheresse justement. On voit déjà l’intérêt des populations et variétés paysannes. Cet été, tous les paysans avec qui j’ai pu travailler ont été agréablement surpris par la bonne tenue de leur population paysanne face à la sécheresse par rapport aux variétés modernes. Cela a été le cas pour le groupe Triticum qui est à Rouen mais aussi dans des terres plus difficiles comme en Bourgogne. C’est un fait récurrent, dans les conditions plus difficiles, plus stressantes, les blés populations diversifiés résistent mieux, mais aussi parce que la génétique qui est mobilisée est plus large.
Dans le cas où l’on effectuerait des mélanges avec les variétés modernes, on gagnerait une certaine diversité dans la parcelle qui est intéressante et efficace mais on serait quand même privé d’une diversité génétique qui fait la force des variétés populations et paysannes. Il faut savoir que l’on a perdu une part conséquence de la diversité des variétés qui étaient cultivées au début du XXème siècle qui portaient des traits d’intérêt, de rusticité par rapport à ces conditions difficiles dont notamment la sécheresse. C’est souvent cela qui est re-mobilisé à travers des croisements ou des mélanges. J’ai actuellement un doctorant qui travaille avec quinze fermes, on essaye d’avoir une approche un peu plus agronomique, de décrire et de faire un suivi plus fin des conditions environnementales.
On vient de vivre un été particulièrement sec. De manière générale, les sécheresses deviennent récurrentes. Est ce que vous travaillez déjà sur des mélanges et des variétés population qui soient adaptées aux nouvelles conditions climatiques ? Est-ce un sujet que vous étudiez depuis un moment ou cela se développe-t-il par la force des choses ?
C’est un critère qui prend de plus en plus de poids. Au début, la recherche était très axée sur les résistances variétales pour rendre le peuplement rustique aux maladies. Mais aujourd’hui, mes collègues travaillent avec les phytopathologistes de l’INRAE sur la sécheresse justement. On voit déjà l’intérêt des populations et variétés paysannes. Cet été, tous les paysans avec qui j’ai pu travailler ont été agréablement surpris par la bonne tenue de leur population paysanne face à la sécheresse par rapport aux variétés modernes. Cela a été le cas pour le groupe Triticum qui est à Rouen mais aussi dans des terres plus difficiles comme en Bourgogne. C’est un fait récurrent, dans les conditions plus difficiles, plus stressantes, les blés populations diversifiés résistent mieux, mais aussi parce que la génétique qui est mobilisée est plus large.
Dans le cas où l’on effectuerait des mélanges avec les variétés modernes, on gagnerait une certaine diversité dans la parcelle qui est intéressante et efficace mais on serait quand même privé d’une diversité génétique qui fait la force des variétés populations et paysannes. Il faut savoir que l’on a perdu une part conséquence de la diversité des variétés qui étaient cultivées au début du XXème siècle qui portaient des traits d’intérêt, de rusticité par rapport à ces conditions difficiles dont notamment la sécheresse. C’est souvent cela qui est re-mobilisé à travers des croisements ou des mélanges. J’ai actuellement un doctorant qui travaille avec quinze fermes, on essaye d’avoir une approche un peu plus agronomique, de décrire et de faire un suivi plus fin des conditions environnementales.
Dans votre parcours, qu'est ce qui vous a amené à vous orienter vers l'agroécologie ? Et qu'est ce qui vous a amené du coup à rejoindre le conseil scientifique de Pour une Agriculture Du Vivant?
J’ai rejoint l’INRA avec l’envie de faire de la recherche qui serve la société. Qui ait un sens. Et le sens que je lui ai donné, c’est qu’elle soit à la fois meilleure pour l’environnement, pour la santé et aussi pour la vie des agriculteurs.
J’ai rapidement vu que ce qui pouvait faire sens pour réunir tout cela, c’était une approche agroécologique : la labellisation par l’agriculture bio pour un juste retour aux agriculteurs mais aussi une recherche d’autonomie sur la ferme où les semences sont au cœur de cette démarche. C’est un monde que j’ai réellement découvert sur le terrain par le biais des praticiens plutôt que par la science.
Lors de mes études, le sol était uniquement présenté comme le support physico-chimique des plantes, sans aucune notion de vie du sol. Nous l’étudions systématiquement conduit de manière conventionnelle. En plus de cela, j’ai grandi en appartement et j’ai eu jardin tardivement donc la vie du sol ne m’a pas sauté au yeux lors de mes premiers travaux. Le déclic s’est produit en travaillant dans mon jardin justement. J’ai découvert un sol qui grouillait de vie !
Ensuite, c’est en allant sur les fermes, à la découvrir les pratiques et des cultures, de lire et d’écouter des collègues qui travaillaient sur le sujet que j’ai eu le déclic et que la bascule s’est opérée. J’ai encore énormément à apprendre et c’est aussi pour cela que c’est aussi enrichissant de rejoindre le Conseil Scientifique de Pour une Agriculture du Vivant.
Cela correspondait à un moment de mon travail où j’avais cerné le fait que beaucoup d’agriculteurs bio maîtrisaient les techniques pour se passer de pesticides : allongement des rotations, diversification des espèces cultivées, intégration de la biodiversité. Et en parallèle, je découvrais ce nouveau monde d’agriculteurs qui ne ne travaillent pas le sol, le gardant toujours couvert en appelant parfois à un peu d’herbicides. J’avais la sensation que deux mondes tendaient à se rapprocher pour mêler leurs expériences et leurs connaissances et je souhaitais pouvoir travailler à ce rapprochement.
Au sein de Pour une Agriculture du Vivant, nous avons fait le cheminement inverse, en constant que les membres du Conseil Scientifique étaient très axé sur les sols de par leur spécialité mais la partie liée à la génétique de la plante, pour l'instant, était encore négligée. La prochaine étape consistait à matérialiser vraiment ce lien sol-plante et donc à se doter d'une experte sur le sujet pour commencer à pouvoir faire infuser ça dans nos projets. Concernant le Conseil Scientifique, est-ce que le fait de rencontrer tous ces chercheurs a nourrit de nouvelles réflexions pour vous ?
En effet, j’y ai rencontré des gens très intéressants qui travaillent à une autre échelle que la mienne. Des gens qui sont innovants et curieux qui ont des moyens importants ce qui leur permet de faire les choses en grand comme Francis Bucaille par exemple (NDLR : fondateur de Gaïago, membre de Pour une Agriculture du Vivant).
J’avais des inquiétudes sur les possibilités de greenwashing. Je me demandais : comment faire pour garder le cap et ne pas être instrumentalisé par des gros acteurs ? Mais je me suis dit que c’était un pari et que ça valait le coup de participer et de voir comment cela fonctionnait. D’autant plus que je suis rassurée grâce à la Démarche de Régénération mise en place par Pour une Agriculture du Vivant avec notamment l’engagement qu’aucun adhérents ne communiquera sans avoir réellement répondu à toutes les dimensions : formations des collaborateurs, mise en place de projets d’innovation (pilotes), évolutions du modèles de contractualisation etc.
De plus, je suis convaincu que des acteurs de petite taille sont une piste intéressante. De toutes les pressions, que cela soit le changement climatique, la perte de biodiversité, l’épuisement des ressources, l’instabilité politique et économique, les petites structures résilientes et ancrées dans le local, qui ne dépendent pas de d’importation de l’autre bout du monde seront les plus aptes à résister.
Propos recueillis par Léa Lugassy le 4 octobre 2022