Dans le cadre du partenariat entre Pour une Agriculture du Vivant et L’Ecole d’Agroécologie Voyageuse, les étudiants sont allés de ferme en ferme pour observer, comprendre et travailler avec des agriculteurs en transition agroécologique. Dans le cadre de son parcours, Nicolas Vincenzi s’est rendu chez de plusieurs éleveurs, principalement en élevage bovin, pour approfondir le sujet de l’autonomie alimentaire à travers l’exemple de différents systèmes. Dans cet article, il fait une synthèse de ses observations et apprentissages sur la gestion du pâturage en élevage bovin.
Nicolas Vincenzi
Ingénieur agronome
Etudiant Ecole d'Agroécologie Voyageuse Promo 2021-2022
20/07/2022
A l’heure d’un contexte plus qu’alertant quant à la nécessité de la transition agroécologique que doit subir l’agriculture sans cesse rappelée par les scientifiques du GIEC ; à l’heure de sécheresses répétées et de plus en plus tôt dans le printemps, posant problème aux éleveurs bovins entres-autres pour assurer leur autonomie fourragère, la solution qui semble être la plus appropriée est avant tout de laisser ces herbivores manger ce par quoi ils ont évolué : l’herbe. La prairie, en plus d’être une niche écologique immense favorable à la biodiversité, va stocker du carbone et développer ainsi la vie du sol l’accueillant. Elle représente un outil indispensable à insérer dans une rotation culturale allongée, ou bien plus généralement pour développer la résilience de son élevage. Évidemment, outre la prairie, le pâturage de couverts végétaux (type sorgho, mélange biomax, avoine précoce, …) est considéré comme un pâturage d’herbe dans cet article. Se trouvent dans cet article différents systèmes de gestion de la prairie appliqués et approuvés par des agriculteurs rencontrés cette année.
De plus en plus aujourd’hui, les éleveurs font recours au système de pâturage tournant dynamique (PTD) dans leurs élevages, permettant d’optimiser la pousse de l’herbe et d’être plus autonome sur leur fourrage. Le système classique est de laisser les vaches dans une parcelle journalière puis de faucher les refus en sortie.
Le principe du pâturage tournant dynamique à haute densité (nommé ci-contre par PTDHD) est de garder un rythme de PTD en ouvrant régulièrement des paddocks d’herbe à maturité au troupeau puis de laisser les paddocks broutés au repos le temps de la repousse. Seulement ici, le chargement instantané atteint par paddock est d’en moyenne 1500 UGB/ha, oui oui 1500 : de plus petits paddocks, mais déroulants plus rapidement (toutes les quatre heures par exemple). L’objectif est d’atteindre un piétinement important d’une partie de la matière organique, qui sera restituée directement au sol par contact, ce qui provoquera une dégradation plus rapide, un ameublement du terrain, et d’avoir un paddock ras, sans refus en sortie. Les vaches vont choisir les espèces de plantes voulues, en piétinant le reste. L’erreur serait de penser que ce système se base sur du sur-pâturage, hors un tel fonctionnement implique donc des temps de retours au paddock beaucoup plus longs (3 mois par exemple). Il est nécessaire d’atteindre un stade optimal de la pousse de l’herbe avant de revenir sur le paddock. Ce système permet de lutter contre les plantes non-désirées tel que les ronces, les rumex, etc., d’optimiser la pousse des plantes broutées par les vaches, sans laisser de refus, et tout cela sans aucun besoin d’énergie mécanique, juste une gestion de fil avant et fil arrière (assez éloigné pour laisser de la place aux animaux dans la prairie pour leur bien-être.
La ferme
- Lieu : Ille-et-Vilaine (35)
- Unité Travail Humain (UTH) : 1
- Elevage : Vache allaitantes
- Troupeau : 70 mère Salers, 1 taureau Charolais /100 UGB*
- Parcellaire : 75ha de prairie en deux îlots, circuit en couloir avec agroforesterie
- Ration : 4 paddocks par jour avec un chargement instantané idéal de 1500 UGB/ha, temps de retour d’environ 3 mois
- Coût alimentaire : 80 €/UGB/an en charges de fourrages (sans le pâturage)
- Particularités : Bale-grazing l’hiver mais surtout stock sur pied, déprimage rapide au printemps, pas de bâtiment, moins de 100 heures de tracteur/an
*UGB : Unité Grand Bétail
Il est possible d’appliquer ces systèmes de pâturage ras en élevage laitier, d’autant plus en élevage tout herbe, sans aucun complément de ration. Ce fonctionnement peut demander un chargement instantané moins élevé et utilise un seul paddock par jour (en fonctionnant en monotraite), même si celui-ci reste piétiné et sans refus en sortie.
Pour atteindre une résilience alimentaire maximale dans ce type d’élevage laitier, cela demande un système adapté dans sa globalité :
- vêlage groupé de printemps :
La saisonnalité des vêlages, déjà présente naturellement pour la plupart des mammifères, n’est pas due au hasard. Après avoir mis bas en début de printemps, la vache va pouvoir lancer sa lactation et se remettre de sa gestation grâce à l’herbe riche et de qualité du printemps. Le veau lui, pourra aussi profiter de cette herbe au moment de son sevrage. L’hiver, période plus rude pour la pousse et la qualité de l’herbe, la vache sera en fin de lactation puis en tarissement et donc avec moins de besoin énergétique.
- la monotraite :
Faire le pas de la monotraite en élevage bovin laitier est encore peu commun. Outre une baisse de production de 20 à 30% (Agrobio Bretagne), le système monotraite associé à une ration tout herbe, majoritairement pâturée permet à la fois au troupeau de ne les ramener en salle de traite fixe qu’une fois par jour et donc de limiter le déplacement répété des vaches. Aussi, cela laisse à la vache beaucoup plus d’énergie pour son équilibre immunitaire et améliore l’état général des animaux.
Un système bovin laitier tout en herbe, en vêlages groupés de printemps et en monotraite confère aux éleveurs une diminution drastique de leurs charges financières et du temps de travail (surtout en hiver). Ce système peut très facilement s’adapter à un élevage des veaux sous la mère, en vaches nourrices ; à des vaches en bâtiment l’hiver, où à l’extérieur en PTD, complémentées en foin par bâle-grazing pour les régions les plus douces.
Les filières industrielles appréciant une stagnation de la production globale, plus facile à gérer pour la transformation et la commercialisation, le développement d’une production saisonnalisée du lait demande une adaptation de ces filières agro-alimentaires et des habitudes des consommateurs, ce qui n’est pas toujours le cas aujourd’hui. Le prix à payer vers un élevage quasi-indépendant du prix de l’énergie et des frais médicaux, juste et viable par l’éleveur, sans trop de charges de travail et financière, en plus d’être en faveur de la qualité du sol, de la biodiversité et donc du stockage de carbone ?
Cas concret
En somme, que cela soit concernant le bien-être animal, l’équilibre financier, l’organisation du temps de travail, la santé des animaux, la dépendance aux énergies, bref la résilience entière de l’élevage et de l’éleveur, l’exploitation améliorera un à un ces points en se dirigeant de plus en plus vers le pâturage, bien fait, et le plus longtemps possible. D’abord en se passant de compléments de ration qui pourront se diriger pour l’alimentation humaine directement, puis en adaptant tout son système à la ration tout herbe : saisonnalité des vêlages, monotraite, diminution du foin vers une augmentation du stock sur pied. Le maintien d’un stock stable (notamment en sec) est tout de même important pour garder une sécurité en cas de conditions climatiques compliquées.
Évidemment cette direction à prendre dans son exploitation va de pair avec une commercialisation réfléchie du lait et de la viande bovine, en abandonnant la demande incessante et croissante de la productivité, toute l’année. Une solution est évidemment de développer une commercialisation en vente directe ou en circuit court de la viande et du lait (en transformant le lait à la ferme par exemple) pour expliquer ces pratiques et mieux valoriser la baisse de production liée aux choix agronomiques. Le fromage, qui a été créé dès l’Antiquité pour stocker le lait, sera toujours présent toute l’année sur nos étales tout comme d’autres produits laitiers et viande, mais en moindre quantité. Cela reste un autre métier qui demande du temps et de la charge mentale.
Il est donc nécessaire que cette direction d’un élevage plus résilient de tous les côtés se fasse tout autant du côté des consommateurs, en diminuant la consommation de produits animaux comme le préconise les scientifiques du GIEC.
L’autonomie fourragère des élevages visités s’est donc toujours développée en allant vers le pâturage de l’herbe ou de couverts, en adoptant une ration tout-herbe, puis petit à petit en cherchant à diminuer la dépendance aux énergies par une dé-mécanisation, un élevage plein air intégral toute l’année (en tout cas aux endroits plus doux comme la Bretagne). Ces systèmes demandent une réflexion et une organisation quant à la mise en eau du circuit de pâturage, à la confection de couloirs. Toutes les exploitations analysées ont profité de ces couloirs pour insérer des
haies, créant de l’ombre et du fourrage aux vaches, sans parler des avantages écologiques de celles-ci. Un système tout-herbe à dominante pâturage (voir tout pâturage) a donc plusieurs avantages et conséquences qui vont avec cette réflexion : ce genre de système est idéal dans les campagnes vallonnées et peu accessible en tracteur, permettant d’y insérer des prairies, des haies limitant l’érosion, tout en créant de la biodiversité. En plaine, la prairie a des avantages agronomiques non négligeables dans une rotation culturale. L’arrêt d’une ration complémentée en céréales répond aussi au problème de la concurrence nourriture humaine/animale reproché à certaines formes d’élevage actuel. Tout cela dépend du climat, de la race du troupeau (animaux plus rustiques, plus légers) et entraîne une diminution de la productivité à l’hectare. Cette diminution va de pair avec une meilleure qualité, et doit tendre vers une meilleure valorisation du produit animal. Le lait des races plus rustiques est généralement plus gras et plus fromageable, la viande est aussi plus riche et plus persillée. Ces races et ces méthodes d’élevage diminuent aussi la dépendance aux médicaments, qui ne seront donc plus rejetés dans l’environnement. Plus généralement, ces modes de fonctionnement amènent une nette amélioration des conditions de travail, en travaillant avec la nature et non pas contre.